Les 3 règles d'un record du Monde
Par Philippe GOITSCHEL, recordman du Monde

Dans un souci d'éthique, la réalisation du record mondial de Ski de Vitesse est soumise au respect de 3 règles principales : Elle demande :
1 La présence de tous et une chance pour chacun.
2 Un matériel raisonné, facile à se procurer.
3 Un chronométrage respectant les origines de la discipline.
C'est dans cet esprit que France Ski de Vitesse organise les compétitions auxquelles je participe.

1 Ensemble : Depuis la naissance de la discipline en 1850, les records de vitesse ont toujours été réalisés dans le cadre de rassemblements. C'est cette confrontation à armes égales qui fait toute la valeur de l'évènement, et la grandeur de la discipline. Les occasions de battre un record sont rares, c'est pourquoi elles doivent être partagées. Les épreuves doivent être connues à l'avance afin que chacun puisse se préparer et que tous puissent être présents le jour " j ". L'objectif de chacun sera alors de rester en course dans des manches successives au cours desquelles le point de lancement s'élève. Lors de la dernière manche, la plus haute sur la piste, celle ou l'on sait que le record peut être battu, le coureur ne dispose que d'un essai. Cet unique essai doit être le bon. En cas d'échec, il devra attendre, et préparer la course suivante, la saison suivante… peut être. C'est la pression dégagée par l'enjeu qui fait toute la différence. Battre un record lors d'une finale mondiale sur un seul essai, est beaucoup plus difficile qu'à l'entraînement en multipliant les tentatives. Pour les meilleurs coureurs, établir un énorme record en privé est possible, mais cela détruirait le sport en anéantissant les efforts de la majorité des participants.

2 Matériel : Durant ses premières années d'existence, les kaélistes débordaient d'imagination en matière d'aérodynamique, mais les vitesses augmentant, la raison a pris le pas sur la performance et l'évolution s'est stabilisée aboutissant à notre matériel contemporain. Aujourd'hui où il est fréquent d'évoluer à 230km/h, le matériel a été pensé dans un objectif prioritaire de sécurité. Comment faire pour que, sur un graphique, la courbe de la sécurité suive ou dépasse celle de la performance ? C'est l'expérience des chutes qui a progressivement mené les coureurs à déterminer la forme, les dimensions et les matériaux composant notre équipement.* De plus, sous sa version actuelle, il est simple à concevoir et peu onéreux, conditions d'une pratique facile et démocratique. En cyclisme, les records sur piste sont maintenant reconnus avec un engin traditionnel, la technologie ayant, quelques années, pris le pas sur l'athlète. C'est dans cette optique que F.S.V est allé encore plus loin en ressuscitant un mode de participation plus simple à appréhender : La catégorie production (aucun appendice aérodynamique, ou accessoire artificiel. Un skieur, un casque rond et une combinaison de descente : Le ski dans sa plus simple expression).
Bien entendu, il serait facile pour un ingénieur d'imaginer une tenue encore plus performante, mais :
a) Sa mise au point, longue et coûteuse, s'adresserait aux plus fortunés.
b) Les contraintes aérodynamiques amèneraient le technicien à rallonger les profils (carénage de tête et ailerons), les rendant du même coup dangereux en cas de chute.
c) Pour les mêmes raisons, le technicien devrait user de matériaux rigides (fibre de verre, carbone), augmentant la dangerosité lors d'une chute.
d) Et puis il est un facteur que l'ingénieur ne peut pas appréhender : C'est la capacité de skier et surtout de chuter avec un maximum de sécurité équipé de la sorte. Ne perdons pas de vue que l'ensemble de la discipline subirait la publicité d'un accident survenu avec un tel matériel.
Il me semble de plus indispensable d'entretenir une continuité historique afin que les diverses générations de coureurs s'identifient à l'activité et soient fiers de ce que les anciens ont su faire et leur transmettre. Pour que cela se produise, il faut des règles justes.

3 Chronométrage : Le sport que nous pratiquons nous a été légué avec son histoire. En vertu de quoi nous autoriserions nous à en modifier les règles ?
Le chrono traditionnel utilise 2 faisceaux photoélectriques que le coureur coupe. La distance qui les sépare est traditionnellement de 100 m. L'appellation Kilomètre Lancé est donc inexacte. Il s'agit en réalité d'un 100 m lancé.
L'intérêt sportif du chrono sur 100 m est de souligner la capacité à maintenir une moyenne. Un chrono sur une distance inférieure améliorerait la vitesse de pointe, mais augmenterait le risque d'erreurs de chronométrage. La fiabilité demandée exclut donc, de fait, les systèmes de chrono de type radar de police ou équivalent.
Il va de soit que le système de chronométrage et le respect absolu et constant de la distance de 100 m, est soumis à l'expertise d'un géomètre.

La performance quand à elle, doit être constatée par un huissier de justice. Le record, une fois battu, est alors indiscutable. Si les règles de la discipline évoluaient vers l'élitisme forcené, la hiérarchie ne serait pas modifiée pour autant et les meilleurs resteraient les meilleurs. Nous y perdrions certainement le plaisir de faire la fête et de se retrouver chaque année sur nos stades.
Pour toutes ces raisons, je ne reconnais pas comme record une prestation réalisée par un ou quelques individus isolés, à la suite de plusieurs tentatives, sans la pression d'un évènement à caractère international, par des moyens chronométriques avantageux, et à plus forte raison si le matériel utilisé n'était pas conforme aux règles établies par France Ski de Vitesse.

Philippe Goitschel

* Pour + d'infos sur les détails du règlement, consulter www.kl-france.com